mercredi 26 septembre 2012

Schaerbeek 2012 - Tamimount Essaïdi et Mohamed El Khattabi (Ecolo) non-candidats

affiche électorale de 2006 (archives Tractothèque)
Tamimount Essaïdi, échevine pendant les mandats 2000-2006 et 2006-2012.

Mohammmed El Khattabi, conseiller communal pendant les mandats 2000-2006 et 2006-2012, président de l'IBDE (Intercommunale bruxelloise de distribution d'eau) de juin 2001 à juin 2007

13 commentaires:

Pierre-Yves Lambert a dit…

Bonjour Tamimount et Mohammed,

Je ne pouvais quand même pas vous laisser disparaître (provisoirement ?) comme ça ! C'est dommage que ce soient des gens honnêtes, travailleurs et non opportunistes comme vous qui s'en aillent, j'espère qu'Ecolo se rendra compte de l'énorme perte que représente votre départ à tous les deux (trois avec Saïd).

Amicalement,

Pierre-Yves

Pierre-Yves Lambert a dit…

http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/2564


"Il n’est pas vraiment indispensable de sortir la grosse artillerie"

Pierre-Yves LAMBERT 23/02/2005

L'hôtel de ville de Schaerbeek abrite les bureaux du bourgmestre, de tous les échevins et de leurs cabinets. Tous ? Non, pas vraiment, puisque ceux de l'échevinat de l'intégration sociale ont été, depuis sa création sous un collège précédent, installés dans un sous-sol de l'avenue Voltaire, avec les services qui en dépendent.

Tout un symbole, puisque cette très belle avenue fut au centre d'une grosse polémique il y a vingt ans, quand la conseillère communale libérale-nolsiste (réélue sur la liste Demol/Vlaams Blok en 2000) Fernande Philippart-Ledür exigea que l'on retire d'urgence les bancs de son allée centrale afin d'empêcher les "étrangers et leurs familles nombreuses" de s'y asseoir et de gâcher ainsi la vue des braves bourgeois riverains.

A ce jour, un seul banc a été remis en place, en face de l'échevinat de l'intégration sociale Tamimount Essaïdi (Ecolo) et non loin des domiciles de deux autres élus de la majorité communale, Mustafa Öztürk (PRL, l'ancien parti de Nols et de Philippart) et Mohamed El Khattabi (chef de groupe Ecolo).

Paradoxe schaerbeekois, l'échevine écologiste ne voit depuis la fenêtre de son modeste bureau aucun des majestueux arbres voltairiens, seulement la cour intérieure d'un service de voirie voisin avec le camion-poubelle qui y stationne, un toit plat tôlé et bitumé qui abrite divers services sociaux, et au loin la tour de... l'hôtel de ville.

Ceci explique peut-être son vieillissement prématuré puisque quatre ans après son élection en octobre 2000 elle est passée, si l'on en croit les pages qui lui ont été consacrée sur le site Ecolo en 2000 et en 2004, de 34 à... 40 ans. "Ils ont probablement réalisé la page des communales longtemps avant les élections, je vous confirme bien que je suis née en mai 1964 en tout cas !". Fort heureusement, la Tamimount de 2000 n'a pas pris une ride, juste une coloration capillaire empruntée à Abdullah Bastin (ou serait-ce le contraire ?), ce qui relève de l'exploit (l'absence de ride, pas la coloration) quand il faut gérer à la fois un échevinat sensible dans une commune urbaine de plus de 100.000 habitants comportant d'importantes minorités tant flamande, marocaine, turque, albanaise, africaine subsaharienne, latino-américaine, bulgare que... à peu près toutes celles possibles et imaginables ! Le tout en élevant trois enfants, quatre depuis peu, avec lesquels elle battait ces jours-ci le pavé dans les manifs anti-Bush.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL La députée régionale MR Françoise Schepmans, ancienne échevine à Molenbeek, a récemment essuyé un échec cuisant au Parlement pour sa proposition d’ordonnance sur l’accueil des primo-arrivants. Qu’en pense l’échevine de l’intégration sociale de Schaerbeek ?

TE Mme Schepmans avait déjà défrayé la chronique médiatique par le passé en criant à l’ "échec de l’intégration", un credo repris ensuite par Daniel Ducarme. Mais d’où vient ce bilan, ce diagnostic ? Leur "indice de non-intégration" semble reposer sur le comptage des porteurs de foulards et de barbes dans certains quartiers. Pour ce qui concerne l’accueil des primo-arrivants, il ne faut pas tout mettre dans le même sac. Il y a des gens qui arrivent soit analphabètes soit avec un bagage très faible, et qui relèvent donc de la politique d’alphabétisation, comme d’autres personnes qui sont belges ou établies de longue date en Belgique. Il y a par ailleurs des personnes qui ont déjà atteint un certain niveau d’études, parfois très élevé, avant d’arriver ici, il s’agit donc là de leur offir la possibilité d’apprendre le français. Manifestement, on ne parle déjà pas vraiment des mêmes cas, et la diversité des primo-arrivants est beaucoup plus grande que ce qu’une propagande réductrice laisse croire. Chaque année, on en compte pas moins de trois mille à Schaerbeek, cela inclut aussi des Américains, des Polonais, des fonctionnaires de la Commission européenne…

PYL Et c’est votre boulot d’ "intégrer socialement " tous ces gens qui arrivent, plus ceux qui sont déjà là ? Ne serait-il pas logique qu’une tâche aussi gigantesque soit encadrée légalement, tant pour ce qui est de la coordination que du financement et de certaines règles à respecter ?

TE Vous savez, dans ce travail il y a tout un ensemble d’associations qui travaillent de longue date, notamment pour l’alphabétisation, un dispositif d’accueil spécifique des primo-arrivants a par ailleurs été créé par mon échevinat avec un projet axé sur l’alphabétisation et l’apprentissage du français, ça s’appelle "Harmonisation sociale schaerbeekoise". Pour ce qui concerne la coordination et les financements, pas besoin de législation spécifique pour les primo-arrivants, il y a un décret "cohésion sociale" qui va intégrer cet aspect dans une perspective plus globale. Il est plus facile de critiquer et de proposer de repartir à zéro plutôt que de se renseigner sur ce qui existe et sur ce qui fonctionne déjà depuis des années.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Mais on a quand même l’impression d’un certain éparpillement, d’un manque de coordination, de sources de financement diverses qui obligent les services ou associations de terrain à affecter des travailleurs exclusivement au remplissage de demandes, de rapports, de justificatifs ?
PYL Pourtant un de vos collègues, Sait Köse (MR-FDF), a bel et bien envoyé un courrier en turc sur du papier à en-tête de son échevinat pour vanter ses réalisations, en turc seulement et pas par exemple en turc, en rifain et en albanais. Et la copie de ce courrier s’est retrouvée en couverture du tract-journal du Vlaams Blok schaerbeekois…

TE Ce n’est certainement l’idée la plus intelligente qui lui soit passée par la tête…

PYL Mais n’est-ce pas la tendance qui prévaut de plus en plus, et dans tous les partis, que les candidats d’origine X s’adressent en priorité à l’électorat de la communauté X ?

TE Tous les partis jouent ce jeu quand ils utilisent les Arabes pour aller faire campagne dans les quartiers arabes, les homos pour parler à un public homo, et puis après ce sont ces mêmes partis qui viennent critiquer leurs élus et les taxer de " communautarisme " !

PYL Cela n’a-t-il pas aussi des conséquences en terme d’exigences de la part des électeurs potentiels qui font pression pour que l’élu issu de leur communauté adopte telle ou telle attitude, sous peine d’être lâché, voire lynché, aux élections suivantes ?

TE Soyons francs, le lobbying a toujours existé, y compris chez les "Belgo-belges". Pour moi, pas de problème qu’on soit élu avec plutôt tel ou tel électorat, l’essentiel c’est qu’une fois élu on soit bien conscient qu’on assume un mandat pour tout le monde et qu’on se comporte en conséquence !

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL A Ecolo, il semble y avoir un gros malaise parmi les élus d’origine marocaine notamment parce que les élus allochtones des autres partis font assaut de clientélisme, de " permanences sociales " pour faire obtenir des passe-droits, des emplois communaux, des logements sociaux prioritaires, et j’en passe. Mais aussi parce qu’il y a une utilisation de certaines thématiques chauvinistes pour ratisser dans certaines catégories électorales.

TE Certains d'entre nous, à Ecolo, se posent des questions sur l'utilisation par nous-même ou par le parti de notre appartenance ethnique à certains moments de la vie politico-sociale: fête du sacrifice, Exécutif des musulmans etc... En tant que responsable locale au moment de l'assassinat de la famille Isnasni, mon origine a été un atout pour permettre un dialogue et instaurer une médiation entre les citoyens et la commune. Je souhaite que l'on sorte de l'hypocrisie et que l'on nous considère comme des hommes et femmes politiques à part entière et pas entièrement à part, au gré des circonstances. Mais pour cela nous devons travailler et avoir un débat en interne comme en externe sur l'engagement des militants.

PYL Nurinisa Balci, unique élue Ecolo d'origine turque, va très prochainement abandonner son mandat de chef de groupe au conseil communal à Saint-Josse pour cause de déménagement à Schaerbeek. Sera-t-elle candidate l'année prochaine ? On a l'impression, vu de l'extérieur, qu'Ecolo n'a jamais réussi à intégrer politiquement des Turcs dans ses rangs. Y a-t-il une incompatibilité fondamentale ?

TE Nurinisa va nous rejoindre au sein du groupe local schaerbeekois quand elle sera installée. Süleyman Özdemir, que j'apprécie énormément était déjà candidat en 2000. Mais c'est vrai que les Turcs qui s'engagent en politique ne le font quasiment jamais à Ecolo. Quand j'observe certains élus d'origine turque des autres partis, je me demande si l'incompatibilité ne se trouve pas surtout dans la façon qu'ils ont d'aborder la politique, en des termes très individualistes et communautaristes. A Ecolo, nous privilégions l'action collective, les projets communs, et pas les campagnes électorales personnelles ni le clientélisme, communautaire ou non, ça en a probablement fait reculer plus d'un. Mais la porte n'est pas fermée, du moment que chacun, quelle que soit son origine d’ailleurs, sache bien où il met les pieds, et ne vienne pas faire du tourisme politique en calculant où il a le plus de chances de percer pour faire carrière...


PYL En 2006, les résidents étrangers hors Union Européenne auront le droit de vote s’ils remplissent une demande en bonne et due forme, avec serment de respecter la constitution, les lois et les conventions internationales parce que sinon, comme chacun sait, ils ne sont évidemment pas tenus de les respecter… Compte tenu du fait qu’un certain nombre d’entre eux n’a pas la maîtrise suffisante du français ou du néerlandais, y a-t-il quelque chose de prévu au niveau communal ?

TE Je vais proposer qu’une information objective soit diffusée en français, néerlandais, turc et arabe.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Et pourquoi seulement le turc et l’arabe, il y a aussi des Albanais, des Bulgares, des Latinos et d’autres groupes de population qui ne comprennent aucune des quatre langues que vous citez ! En Norvège, par exemple, ils ont des dépliants dans plein de langues, y compris le français et le somalien, puisque le but c’est que tout le monde participe à la vie démocratique au moins au niveau local.

TE C’est une excellente remarque, de toute façon il est évident qu’on travaillera avec la direction des élections au ministère de l’Intérieur sur ces projets et qu’il sera donc possible d’élargir l’offre de documents dans différentes langues sans que ce soit la seule commune de Schaerbeek qui doive supporter les frais de traduction et de diffusion.

PYL Une dernière question, il y a un an vous avez été très médiatisée en tant qu’échevine d’une commune qui avait un jumelage avec Al Hoceima, cette ville marocaine sinistrée par un tremblement de terre, vous avez coordonné une bonne partie de l’assistance humanitaire belge à cet égard. Qu’en est-il un an après ?

TE Les interventions des services communaux schaerbeekois là-bas se poursuivent, notamment pour la mise en place d’une intercommunale de récolte des déchets, un problème jamais solutionné auparavant. Nous avons aussi développé l’axe social, avec par exemple la modernisation de la bibiliothèque municipale et la diversification de ses collections. Il y a par ailleurs un groupe de pompiers de Bruxelles, d'Aix-en-Provence et d'Amsterdam qui part dans quelques jours pour travailler sur le plan d'urgence d'Al-Hoceima.
S’il faut conclure cet entretien, je dirai que je ne sais pas encore si je serai encore en charge de cet échevinat après 2006, mais quand je regarde le travail accompli depuis 2001, je me dis que je partirai d’ici la tête haute !


Pour en savoir plus :

Service schaerbekois de l’intégration sociale: http://members.chello.be/cr27404/integration.sociale/
Carte sociale de Schaerbeek: http://www.cartesociale-schaerbeek.be
site schaerbeekois non-officiel (il n'existe pas de site officiel): http://www.schaerbeek.net
le site de Françoise Schepmans: http://www.schepmans.com
Proposition de décret créant un parcours d'intégration individuel à l'attention des primo-arrivants adultes: http://www.schepmans.com/parcours_integration.htm
position du PS sur cette proposition libérale ("Non à la stigmatisation libérale des primo-arrivants!"): http://www.groupeps.be/modules.php?op=modload&name=News&file=article&sid=103&mode=thread&order=0&thold=0&POSTNUKESID=2511c9117af3f67b46628b907c3f9efa

nouveaux liens:

site d'Ecolo-Schaerbeek: www.ecoloschaerbeek.be

site de la commune de Schaerbeek: http://www.schaerbeek.irisnet.be/

Pierre-Yves Lambert a dit…

[© Pierre-Yves Lambert 20/03/2004 reproduction autorisée avec mention obligatoire de la source: article publié par la liste de www.suffrage-universel.be et www.minorites.org ]

Mohamed El Khattabi, pdg et chef de groupe

carte d'identité

Né en 1968 à Ajdir, le village d'Abdelkrim El Khattabi, Mohamed El Khattabi, dont le grand-père a combattu avec son célèbre parent, arrive en Belgique en 1974 pour y rejoindre son père. Après des études secondaires à Evere, en région bruxelloise, il s'inscrit en science commerciales ("Solvay") à l'Université Libre de Bruxelles (ULB), puis après un an passe à l'Institut Catholique des Hautes Etudes Commerciales (ICHEC), un établissement de prestige où il côtoie des enfants de la grande bourgeoisie et de l'aristocratie bruxelloise. Par la suite, il est engagé comme cadre dans une grande multinationale américaine. Fin 2000, il est élu sur la liste Ecolo au conseil communal de Schaerbeek, y devient chef de groupe et, quelques mois plus tard, est désigné président d'une des plus importantes sociétés publiques de la capitale, l'Intercommunale Bruxelloise de Distribution d'Eau (IBDE). En mai 2003, il devient deuxième député fédéral suppléant de son parti pour l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, puis premier, suite à la démission de l'ancien secrétaire d'Etat Olivier Deleuze. Au cas où la députée fédérale Maria Nagy Patino était élue au parlement régional bruxellois en juin prochain, il ferait donc son entrée à la Chambre des députés, y rejoignant notamment Mohammed Boukourna (PS) et Talbia Belhouari (PS), suppléante qui sera appelée à siéger en juin en remplacement de Charles Picqué, ancien et futur ministre-président régional.



Entretien

PYL Il y a quelques jours, on apprenait le décès de Roger Nols, l'incarnation du racisme anti-immigrés au sein de la classe politique bruxelloise traditionnelle dans les années 80...

MEK On a du mal à imaginer les traumatismes causés par la période Nols à Schaerbeek, les Marocains et les Turcs avaient carrément peur d'aller à la maison communale, tellement on leur avait martelé qu'ils n'étaient que des sous-citoyens. Il régnait une insécurité juridique permanente: par exemple, des employés communaux avaient volontairement inséré des erreurs dans l'état-civil d'étrangers, et il fallait payer des sommes importantes pour les faire rectifier. Une rumeur avait même circulé selon laquelle si on perdait une deuxième fois sa carte d'identité on n'en recevrait plus de nouvelle et on risquait ainsi l'expulsion par défaut de titre de séjour. Il y avait aussi, bien réelle, l'interdiction de rassemblements de plus de deux personnes sur la voie publique après le couvre-feu pendant la période du ramadan. A l'époque, Saint-Josse, la commune voisine dirigée par le bourgmestre socialiste Guy Cudell, semblait irréelle tant il était bienveillant et ouvert envers toute la population, sans distinction d'origine. Ce qui est assez étonnant c'est que tous les médias belges ont parlé du décès de Nols, mais qu'aucun n'a eu l'idée d'aller interroger des Marocains ou des Turcs de Schaerbeek pour qu'ils racontent ce que ce nom évoque pour eux, ce qu'ils ont vécu toutes ces années.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Vous avez vécu le nolsisme en tant qu'adolescent et que jeune adulte, pourtant vous n'avez pas investi le champ politique, ni même associatif, à cette époque. On a d'ailleurs un peu l'impression que le combat antiraciste et antinolsiste était principalement mené par des "Belges de souche" et des "Européens", comment expliquez-vous cela ?

MEK Il régnait une sorte de fatalisme, de crainte d'avoir des problèmes, c'était à un tel point que personne parmi les Marocains et les Turcs ne réagissait quand des militants d'extrême-droite venaient coller des affiches dans le quartier, sous leur nez. Moi, je ne suis devenu belge qu'à 28-29 ans, vers 1997-98, ce n'est qu'à ce moment que j'ai adhéré à un parti politique, avant cela j'avais le sentiment qu'il m'était impossible d'agir en tant que tel, même si je suivais de près la situation en France à l'époque des marches beurs, de SOS-racisme etc., ainsi que le militantisme pour la cause palestinienne.

Encore une fois, vue de Schaerbeek, la situation en France dans les années 80 telle qu'on la voyait à la télé ou dans les journaux français semblait surréaliste, on ne pouvait que se sentir de gauche quand on voyait les dirigeants français défendre les immigrés, s'engager contre le racisme. En tout cas, c'était comme ça que je le ressentais à l'époque, la réalité des discriminations n'est apparue que longtemps plus tard, et maintenant la situation s'est inversée, la Belgique paraît beaucoup plus progressiste que la France, malgré l'importance du Vlaams Blok. Et alors que les socialistes français me paraissaient tellement ouverts, leurs homologues belges avaient adopté un discours très populiste et "limite"à leur congrès bruxellois de 1987 qui a vu la victoire idéologique de Picqué contre Moureaux.

A Schaerbeek, il y a eu une première rupture symbolique avec la période Nols en 1994, quand trois élus d'origine marocaine ont pour la première fois fait leur entrée au conseil communal, un Ecolo, une PS et un FDF. Six ans plus tard, cette présence s'est encore accrue, des Turcs ont également été élus, et trois échevins d'origine marocaine ou turque ont fait leur entrée dans le collège, et il ne faut pas oublier de signaler un rajeunissement considérable du personnel politique communal en général, tous partis confondus. La direction politique de la commune ressemble maintenant beaucoup plus à sa population.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Et pourquoi avoir plus particulièrement opté pour Ecolo ?

MEK Contrairement au PS et à son tournant à droite de 1987, avec rejet catégorique du droit de vote aux non-Européens, Ecolo a toujours défendu la même position, c'était d'ailleurs le slogan de Nols contre eux, "les Ecolo veulent donner le droit de vote aux étrangers". Mon choix pour Ecolo n'a pas uniquement été motivé par cela, leurs positions en matière urbanistique m'ont séduit, encore une fois par opposition à Nols et ses alliés qui avaient complètement abandonné les quartiers "turcs et marocains" jusqu'à ce que les rues et les trottoirs deviennent complètement défoncés, sans parler des dépôts clandestins de déchets de toutes sortes qui s'accumulaient un peu partout dans des terrains vagues, sur des coins de rue. Je crois que cet abandon est en grande partie à l'origine de toutes ces incivilités qu'on constate aujourd'hui dans ces quartiers, les habitants ont été poussés à se retrancher à l'intérieur de leurs maisons, de leurs appartements, et à considérer la rue comme un terrain hostile où ils n'étaient pas les bienvenus, où ils n'étaient pas chez eux.

Et, bien sûr, ce qui m'a aussi séduit chez Ecolo c'est cette sorte de virginité politique, la règle du non-cumul des mandats par exemple, qui est d'ailleurs toujours en vigueur. Encore une fois, Ecolo a une constance qui me plaît, quand on a fait la campagne en 2000, la première où j'étais candidat, on avait une très bonne image dans la communauté, qui n'avait pas oublié qu'on était les seuls à toujours avoir été de leur côté. Par contre évidemment, notre conception de la moralité politique nous mettait souvent en difficulté dans les discussions dans les cafés, dans la rue, face à des demandes très précises de logement, de travail. Contrairement à d'autres qui pratiquent assidûment et systématiquement le clientélisme, nous on répondait, et on répond toujours qu'on se bat contre les discriminations, pour la prévention, pour la prise en compte des quartiers dans la politique urbanistique, ce n'est pas toujours facile alors que les autres répondent "viens me voir à ma permanence sociale" ou "va voir untel de ma part, il arrangera ça"...

PYL Avez-vous l'impression qu'il y a eu une évolution dans la participation politique des Marocains et des autres allochtones, qu'on est passé d'un discours "soutenez-nous quel que soit notre parti, on est des pionniers et il ne faut pas nous casser" à une différenciation politique mais aussi stratégique plus marquée entre gauche et droite ?

MEK Ma première campagne en tant que militant, c'était en 1999 aux côtés de Fatiha Saïdi, Geneviève Meunier et Bernadette Wynants, on était tous de Schaerbeek ou d'Evere, c'est d'ailleurs aussi la première fois de ma vie que j'ai voté, j'avais 31 ans, je n'étais belge que depuis un an ou deux. C'était enthousiasmant, les gens avaient un a priori positif, beaucoup d'espérances vis-à-vis d'Ecolo, à quelques exceptions près il paraissait logique pour les Bruxellois d'origine marocaine de voter Ecolo ou PS, il n'y a d'ailleurs pas eu tellement de débats spécifiques visant un électorat allochtone et/ou impliquant des candidats allochtones, et ils n'avaient pas attiré un grand public. Quatre ans plus tard, la situation avait radicalement changé, il y avait des candidats marocains à des places intéressantes dans tous les partis, il y avait réellement une stratégie électorale spécifique à la fois à l'égard des candidats, mieux ancrés qu'auparavant dans la vie politique, et à destination de l'électorat allochtone, des débats à foison, une concurrence accrue. Et une diversification, l'a priori favorable au PS et à Ecolo ou la valeur commune de l'antiracisme avaient disparu, les thématiques étaient sociétales, socio-économiques et les oppositions nettement plus tranchées, les débats plus incisifs.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Depuis janvier 2001, vous exercez la fonction de chef de groupe Ecolo au conseil communal de Schaerbeek, n'est-ce pas une fonction un peu protocolaire étant donné qu'Ecolo fait partie de la coalition qui dirige la commune et qu'il y compte trois échevins sur onze ?

MEK Après la désignation des échevins, on m'a demandé de me porter candidat à cette fonction de chef de groupe, et j'ai été désigné par les conseillers communaux. Ca consiste à coordonner les activités des conseillers communaux par rapport aux commissions et aux mandats dérivés dépendant du conseil communal, mais aussi par exemple à représenter le parti lors des négociations de majorité, entre deux conseils communaux ou quand il y a une interruption de séance, ce qui se passe assez régulièrement vu la complexité de la coalition au pouvoir. De telles négociations sont parfois très âpres, y compris avec le bourgmestre ou l'un ou l'autre échevin, vous devez garder à l'esprit qu'à plusieurs reprises, notamment lors du vote du derrier budget, la majorité a failli éclater. C'est par exemple moi qui annonce officiellement l'abstention ou le vote négatif du groupe en cas de crise, voire à titre symbolique mon abstention et le vote positif du groupe, pour préserver la majorité tout en marquant clairement nos réserves.

Par ailleurs, je fais partie de plusieurs commissions du conseil communal, qui correspondent chacune aux compétences d'un membre du collège: instruction communale, prévention, économie-emploi, finances-sports, affaires générales ("commission du bourgmestre". Et bientôt, à la suite d'un accord avec le bourgmestre Clerfayt (FDF), je vais siéger au conseil de police à la place de Fabienne De Dyn, une conseillère communale Ecolo qui est passée au FDF il y a quelques mois. Comme un des échevins du FDF, Michel De Herde, a quitté ce parti, ils voulaient récupérer sa vice-présidence de l'Hôpital Brugmann, un mandat très rémunérateur, et pour cela ils avaient absolument besoin de nos voix et ils ont donc été forcés de céder sur le mandat de De Dyn, qu'ils refusaient obstinément de nous restituer auparavant.

PYL On a souvent l'impression, de l'extérieur, que les conseillers communaux ne font pas grand-chose, une intervention de temps en temps le jour du conseil, et le reste du temps rien ? Qu'est-ce que ça représente par rapport à un temps-plein ?

MEK C'est une fonction très technique et assez ingrate, on en fait ce qu'on veut bien y investir, c'est-à-dire rien du tout ou beaucoup, il n'est pas possible d'étudier tous les dossiers et il faut donc faire des choix, se partager le travail. Mais d'un autre côté on reste très proches du citoyen. En gros, si je compte mon travail en tant que conseiller communal plus celui de chef de groupe, ça doit faire dans les 40 heures par mois au minimum, soit un quart-temps.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Dans votre cas, il y en plus la présidence de l'IBDE, une des plus grosses intercommunales en terme de budget (100 millions d'euros), et qui touche un million de Bruxellois, c'est-à-dire tout le monde. Ca représente plus de pouvoir qu'un échevin, non ? Et vous avez été le premier élu allochtone à occuper une fonction aussi importante dans la région ?

MEK Oui, je me suis engagé vis à vis de mon parti à m’en occuper au minimum un mi-temps, ce ne serait pas possible de faire moins vu l'importance de cette fonction. Comme pour celle de conseiller communal, on en fait ce qu'on veut, pendant des années beaucoup de ces intercommunales ont vécu sous la non-gestion, les mandats n'étaient considérés que comme des primes rémunératrices supplémentaires pour l'un ou l'autre élu local ainsi récompensé par son parti. Pour être clair, la répartition entre les trois intercommunales de l'eau s'est faite entre les trois partis de la coalition fédérale de l'époque, la CIBE (approvisionnement) pour le PS (Jean Demannez, bourgmestre de Saint-Josse), l'IBDE (distribution) pour Ecolo et l'IBRA (égoûts) pour le MR (Daniel Ducarme, chef de groupe au conseil communal de Schaerbeek). J'ai succédé en juin 2001 à l'ancien bourgmestre PRL d'Uccle, il y avait déjà eu sous son mandat un élu d'origine marocaine dans le conseil d'administration, Mohamed Ouriaghli [conseiller communal PS à Bruxelles], mais c'est en effet la première fois qu'un élu d'origine marocaine a accédé à un poste aussi important dans une intercommunale bruxelloise.

Il s'agit bien d'un mandat éminemment politique, l'eau ça touche tout le monde, ce n'est pas un bien mais un droit fondamental, et en plus l'IBDE possède l'outil de production, ce qui n'est par exemple pas le cas pour SIBELGAZ (intercommunale du gaz et de l'électricité), où le pouvoir d'influence des mandataires publics est minime parce que c'est une société privée qui contrôle l'outil de production. Les décisions à prendre sont donc bien d'ordre politique, notamment sociales et environnementales, et pas uniquement d'ordre financier ou technique, et il s'agit de connaître ses dossiers à fond et d'avoir à l'esprit toutes les données dans un domaine où les investissements se font à moyen et long terme, pour des montants colossaux.

Pour prendre deux exemples concrets, il y a le remplacement sur dix ans des conduites d'eau qui contiennent du plomb, un investissement de plus de 75 millions d’Euros c'est un choix clairement social et écologique que j'ai privilégié et qui a été entériné par les autres partis, à Paris par contre ils ont plutôt choisi d'utiliser un additif pour diminuer le taux de plomb jusqu'au niveau admis par l'Union Européenne. C'était une décision politique dont on ne pouvait donc pas se défausser sur l'administration. Il y a aussi la tarification solidaire avec l'instauration d'un minimum vital, qui va plus loin que ce qui est prévu pour le gaz et l'électricité, concrètement ça signifiera à terme que 60 à 70% des Bruxellois pourront constater une diminution de leur facture d'eau, jusqu'à 39% pour certains, d'après nos calculs. L'enjeu n'est donc pas mince, ni périphérique, on est bien là en plein dans une fonction politique essentielle, celle de donner les orientations politiques à une entreprise publique afin qu'elle travaille dans l'intérêt du plus grand nombre, en prenant en considération tant le présent que l'avenir.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Pour en revenir au mandat communal, un épisode récent a défrayé la chronique locale à Schaerbeek, je veux parler de la polémique entre les échevins Lahlali et De Herde à propos de l'interdiction du foulard dans les écoles communales. Vous parliez du conseiller communal comme étant "proche du citoyen", mais vous ignoriez apparemment qu'une telle interdiction était en vigueur dans votre propre commune, n'est-ce pas quelque peu paradoxal, surtout de la part d'un élu d'origine marocaine ?

MEK Si je ne vous connaissais pas, je dirais que je comprends mieux maintenant pourquoi certains vous ont rebaptisé "shaïtan"... Oui, vous avez raison, quand cette histoire a éclaté, un mini-incident en vérité, en février dernier, j'ignorais totalement l'existence de cette réglementation communale qui semble dater des années 80. En fait, quand j'ai interrogé des élus plus anciens, ils étaient tout aussi incapables de me dire quand elle avait été votée: il a fallu demander au secrétaire communal d'effectuer des recherches pour en avoir le coeur net ! En fin de compte, il semble que ça date de 1989, et ça n'a jamais dû être revoté, ce qui explique que la plupart des élus actuels n'en aient jamais entendu parler. C'est vrai qu'aucun habitant ne m'a jamais interpellé à ce sujet, il faut dire qu'il n'y a pas beaucoup d'écoles secondaires qui dépendent de la commune, une seule si mes souvenirs sont bons, le reste dépend des communautés française et flamande ou de l'enseignement libre. Et, franchement, avec le poids du MR au conseil communal, surtout depuis que le groupe Duriau les a rejoint, ils ont la majorité absolue et il serait peu probable qu'une demande de modification de cette réglementation aboutisse.

Sur le fond, je suis contre l'interdiction du foulard dans les écoles, et en même temps contre toute dispense de cours ou d'activités sportives pour des motifs religieux: chasser des élèves de l'enseignement, c'est une faute, "seuls les talibans ont chassé les filles des écoles", comme a dit quelqu'un. Et cette question dépasse le simple cadre du respect religieux, elle ne doit pas non plus être laissée à la discrétion des directeurs d'école sinon ça entraîne des dérapages du genre "pour que mon école soit plus blanche, je vais instaurer l'interdiction du foulard, comme ça "ils" n'auront qu'à aller s'inscrire ailleurs"...

Idem pour les fonctionnaires communaux, ou à l'IBDE, je ne vois aucun problème tant qu'on aboutit à des arrangements par exemple sur la couleur, comme pour les policières britanniques. J'ai dit foulard, pas "Batman" avec une cape et des gants noirs évidemment, c'est pour ça qu'il faut en discuter pour éviter tout dérapage. En gardant à l'esprit que le port du foulard est aussi une question d'identité, de mystique personnelle, et non une simple question religieuse.

Pierre-Yves Lambert a dit…

PYL Un des reproches qui sont faits aux politiciens allochtones par leurs "compatriotes ethniques" et qu'"on ne les voit jamais", "on ne sait pas ce qu'ils font", ce qui se traduit souvent par "ils ne font rien, ils voulaient juste être élus et puis basta". Sur le foulard et sur d'autres questions on les a d'ailleurs fort peu entendu, surtout du côté francophone, comme s'ils étaient encore plus sujets qu'acteurs politiques à part entière, sans véritable visibilité.

MEK C'est dur, comme jugement, moi je ne peux parler que pour mon parti, Ecolo, où c'est vraiment plus difficile d'avoir une visibilité en tant qu'élu, parce que c'est un projet politique collectif où les stratégies personnelles de visibilité sont découragées, sauf sur des sujets spécifiques où certains ont une légitimité qui les autorise à avoir cette visibilité. Pour prendre un exemple au hasard, sur l'eau je suis considéré comme une personne-ressource à interviewer le cas échéant par les journalistes qui traitent l'actualité relative à cette thématique, mais sur d'autres il n'y a pas de raison objective pour qu'on me demande ce que je pense, et ce serait assez malvenu et immodeste de ma part de commencer à envoyer des communiqués de presse à tort et à travers pour faire savoir ce que je pense de ceci ou de cela. Ceci dit, il y a une réflexion en cours à Ecolo sur cette question de visibilité des mandataires et des candidats. Mais au niveau communal, le retour médiatique est de toute façon moins important que la reconnaissance du terrain, j'ai par exemple eu des échos via des connaissances et des membres de ma famille de choses positives qu'on dit sur moi dans les mosquées schaerbeekoises suite à mon intervention au conseil communal de février pour demander plus de subsides communaux au culte musulman, qui reste le parent pauvre comparé au culte catholique dans une commune où un pourcentage important de la population est musulman, peut-être le plus important si on ne considère que les personnes pratiquantes. Mais cette intervention n'a eu aucun écho dans la presse, même dans les colonnes locales.

PYL Peut-être parce que certains correspondants locaux ont des parti-pris ou des relations de copinage avec d'autres politiciens locaux, voire plus ?

MEK Je vous laisse la responsabilité de cette appréciation...

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à lire aussi:

Le double discours de Mohamed Lahlali, échevin PS http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/1980

Mohamed El Khattabi, "Le Berbérisme", Le Vif-L'Express, 13 février 2004 http://www.levif.be/CMArticles/ShowArticle.asp?articleID=613&sectionID=4

le site d'Ecolo-Schaerbeek http://www.schaerbeek.ecolo.be/

e.a. motion relative au droit de vote et d'éligibilité des ressortissants non belges aux élections communales http://www.schaerbeek.ecolo.be/download/propositiondemotion-vote.rtf

le site de l'IBDE http://www.ibde.be/